Dans Le Devoir, le chroniqueur Fabien Deglise convie les lecteurs à un exercice de futurologie. Il sollicite opinions, commentaires, souhaits sur le thème : « En 2112, à quoi le monde va-t-il finalement ressembler ? »
Je plonge. D’abord pour le meilleur, ensuite pour le pire…
Le prochain siècle verra son lot de découvertes fascinantes, qui permettront une évolution positive de l’humanité. Mais, comme depuis toujours, l’espèce sera incapable de canaliser son énergie, ses efforts, pour assurer une amélioration générale des conditions de vie. Dans un siècle, comme depuis toujours, une minorité gardera la mainmise sur le pouvoir, sur les biens, sur les richesses. La cupidité avide de cette minorité, qui dicte les règles du jeu puisqu’elle contrôle le système économique, ne cèdera pas devant les conditions de la majorité. Le capitalisme n’engendrera ni solidarité, ni redistribution équitable. Et le système économique continuera de régner, à défaut d’un système social ou collectif assez convaincant pour renverser le règne de l’argent.
À moins que…
À moins que l’ONU devienne un réel gouvernement mondial, auquel toutes les nations, toutes les multinationales, toutes les mafias, toutes les religions adhèrent… Ce gouvernement devrait être socialiste, comme le définit Le Robert :
Doctrine d’organisation sociale qui entend faire prévaloir l’intérêt, le bien général, sur les intérêts particuliers, au moyen d’une organisation concertée (opposé à libéralisme); organisation sociale qui tend aux mêmes buts, dans un souci de progrès social.
Entre autres rêves, ce gouvernement mondial devrait :
- Obtenir la paix dans toutes les régions du monde, ainsi que la disparition de toutes les armes dévolues au combat contre d’autres humains.
- Imposer une définition claire du concept de « liberté », juste équilibre entre les droits de la personne et les obligations de la vie en société.
- Contrôler la démographie, puisque nous approchons – si nous ne l’avons déjà dépassé – le seuil de surpopulation.
- Agir pour réduire – il est trop tard pour renverser la situation – les impacts de la pollution et des changements climatiques.
- Adopter, au niveau mondial, des politiques égalitaires en matière de redistribution, pour que toutes et tous aient accès à l’eau potable, à des sources d’énergies renouvelables (non fossiles) et aux matières premières nécessaires pour construire les infrastructures essentielles.
- Réformer le système alimentaire de l’humanité, pour assurer que tous mangent à leur faim en consommant un minimum d’eau et d’énergie.
- Donner à chacun l’accès à un système de santé gratuit (financé par l’état et les contribuables).
Pour réussir une telle révolution, le premier pas consiste probablement à implanter une révolution dans le système d’éducation, pour donner à chacun la formation minimale pour échapper à l’exploitation et être en mesure d’agir pour son bien et celui de ses proches. Comme point de départ, les propositions de Stéphane Hessel et Edgar Morin, dans Le Chemin de l’espérance (Fayard, 2011), valent sûrement le coup. Cet opuscule, sorte de manifeste pour refonder le cadre de la vie en société, est une réponse au pamphlet Indignez-vous, du même Hessel (Indigène Éditions, 2010), dont plusieurs Indignés se réclament.
Croyez-vous l’humanité capable de ce grand geste ? Malheureusement, je crois que non.
Ainsi donc, voici ma vision – cauchemardesque – de ce à quoi notre monde devrait ressembler en 2112 :
- La planète sera victime d’une surpopulation qu’aucune mesure n’aura réussi à contrôler.
- Sous la forme d’un capitalisme décadent, le régime économique mènera encore le fonctionnement en société, avec l’argent comme principal moteur d’échange.
- La plupart des gouvernements, dont les dirigeants seront corrompus par les multinationales, auront poursuivi jusqu’à la fin l’exploitation des carburants fossiles (pétrole et autres gaz), provoquant un retard irrécupérable dans la gestion des changements climatiques.
- L’environnement sera dégradé partout : dégradation majeure de l’air, des mers, de l’eau potable, des forêts, des terres agricoles, de l’atmosphère; effets délétères majeurs sur la santé publique et sur les espèces vivantes (animales et végétales).
- La recherche scientifique servira les intérêts de corporations transnationales, au détriment des populations, ce qui se traduira par un énorme déséquilibre quant à l’accès aux soins de santé.
- L’agriculture traditionnelle aura disparu, sauf dans quelques petites régions isolées. La grande majorité des aliments disponibles proviendront de l’agriculture industrielle (élevage, pisciculture, grandes cultures) et de la production manufacturière (de type soleil vert).
- Il y aura trop de tout dans quelques petites régions du monde hyper sécurisées.
- Il manquera de tout dans la plupart des régions du monde, où la force fera loi.
- De vastes déplacements de populations seront occasionnés par le manque de ressources.
- Les guerres se multiplieront pour le contrôle de territoires où subsisteront des réserves d’eau potable, de terres arables et d’autres matières premières.
- En l’absence de concensus pour réduire de manière concertée et cohérente la population, les nations les plus puissantes organiseront d’énormes purges et génocides, afin de contrôler la population dans les territoires sous leur juridiction.
- Il y aura plus de morts par la guerre au XXIIe siècle qu’au XXIe, qui en aura fait plus que le XXe, etc. (cette croissance est une triste constance du progrès humain).
- Quelques régions/pays/sociétés auront peut-être réussis à surnager, et à établir des régimes axés sur l’équité et la redistribution de la richesse, mais d’où viendra leur richesse : d’une forme originale d’autarcie ? Ou de l’exploitation de matières premières au détriment des autres ? Et comment réussiront-ils à sauvegarder leur utopie, sinon par des frontières infranchissables ?
Je m’arrête ici. Et j’espère sincèrement avoir tort. Mais, honnêtement, je ne vois nulle part les signes que l’humanité peut mieux.