Barman ou guide ?

Rencontres imaginaires 4.

Ma mission d’observation démarrait fort bien. En débarquant dans ce bar, avec un pape démissionnaire, une chef autochtone et un premier ministre, j’avais visé drôlement juste. Une entrée en matière fascinante… Néanmoins, j’avais le sentiment d’être loin du peuple et de la matière brute. Je me suis donc dirigé vers le bar. Il faudrait bien, tôt ou tard, que j’adresse la parole à quelqu’un.

En m’asseyant sur un des tabourets adjacent au zinc, j’ai constaté que j’avais oublié ma bière à la table. Qu’à cela ne tienne, elle est apparue devant moi, matérialisée comme dans un film de science-fiction. J’ai regardé vers ma table, pour constater qu’elle n’y était plus. J’ai sourcillé, avant de porter mon regard vers le barman. Le phénomène était surprenant, mais mon demi était vide. Un sourire franc m’a accueilli.

– Où suis-je arrivé, exactement ? J’ai demandé.

– Vous rappelez-vous avoir sciemment choisi où vous seriez rematérialisé ?

Je croyais pouvoir répondre oui, mais après une brève réflexion, pendant laquelle le type me sert une troisième pinte de bière, je devais admettre, en réponse à sa question, ne pas m’en souvenir du tout.

– Nous sommes un petit groupe délégué sur terre pour faciliter les retours.

Devant mon air surpris, il poursuit.

– Vous seriez étonné de savoir combien de personnes font comme vous. Depuis des siècles, d’ailleurs… Un paquet de gens tolère mal l’éternité. Tous ne reviennent pas sur terre, mais plusieurs le font chaque année. Nous sommes là pour faciliter l’acclimatation…

Mon silence lui sembla suffisamment éloquent pour qu’il y réponde.

– Ne vous en faites pas… D’ici quelques jours, vous aurez retrouvé vos repères.

Sur le coup, je me suis senti coupable, démasqué, comme un ado pris la main dans le portefeuille de son père. Mais j’ai vite compris que ce serait plus payant de lui demander conseil.

– Vous suggérez quoi ?

– Vous ne pouvez pas rester ici, dans le bar, longtemps. Rien ne vous empêche de revenir, tous les jours si vous voulez, mais il faut que vous sortiez avant que je ferme le soir. Dès ce soir…

– Et je vais où ? Demandai-je, visiblement inquiet.

– Rien ne presse. Il est quatre heures et je ferme à minuit… Nous avons tout notre temps…

Les interrogations se bousculaient dans ma petite cervelle, qui luttait avec le reste de mon corps contre un début de nausée. Mon serveur et guide expliqua que ce malaise passerait après quelques jours. Revenir sur terre après une éternité dans l’au-delà provoquait souvent des effets physiques. Comme le mal de terre, semblable à celui des marins débarquant au port, que je ressentais, et qui s’atténuerait.

D’accord pour la nausée. Mais je me demandais bien où ces rencontres allaient me mener.

– Excepté vous, les trois premières personnes que j’ai rencontrées sont des célébrités. Il n’y a pas que ça, sur terre, non ?

Le guide m’a regardé, avant d’attirer mon regard vers le coin opposé de celui où j’étais apparu. Un jeune homme à l’air hébété fixait le vide devant lui.

– Allez voir ce type. C’est un quidam dont l’expérience de vie vous révélera beaucoup sur l’état de la jeunesse.

Obéissant, je me levai du tabouret et partis avec ma bière m’asseoir à côté du jeune homme.

 

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