Puissance spirituelle de l’art et du théâtre

Nous avons assisté mardi soir, 21 février, au Théâtre Périscope, à une représentation de La Liste, pièce de Jennifer Tremblay, prix du gouverneur général 2008. Ce monologue déchirant est joué par Sylvie Drapeau, dans une mise en scène de Marie-Thérèse Fortin, production du Théâtre d’aujourd’hui.

De tels spectacles constituent des moments forts, privilégiés. Pour moi, par certaines de leurs qualités, ils confirment comment, à notre époque, l’art joue un rôle tellement plus important que la religion. En fait, entre les années 60 et les années 80, au Québec, et cela dure toujours, l’art – avec des œuvres de toutes les disciplines – s’est substitué à la religion.

Au théâtre, des gens se rassemblent autour d’une parole. Contrairement à l’église, il ne s’agit pas de la parole de dieu (quelle fiction…) qui rassemble autour de croyances, d’une foi unique, mais des mots d’un humain, le dramaturge, ou ceux d’un groupe (pour les œuvres collectives), qui s’adresse au spectateur – le fidèle – avec un discours ouvert. Le théâtre est le lieu de la parole collective. Il aménage les conditions d’une rencontre sociale, qui interpelle, lance de grandes idées, émeut, propose un miroir de notre monde, renvoie une image déformante ou réaliste, critique, amuse à la façon cynique du fou du roi. Le théâtre ne force pas l’adhésion à un message, émis à sens unique, comme à l’église, où il va du pasteur vers ses brebis. Cette métaphore est d’ailleurs gênante pour l’église, quand l’on croise un troupeau mené à coup de trique et de morsures de chien bergers dans le jarret. Mais le théâtre n’est pas cela. Le message d’un spectacle de théâtre est équivoque, rayonne dans plusieurs directions, dépendamment de l’écoute et de la disposition des spectateurs. S’il veut convaincre, il ne veut pas embrigader. Il touche; il écorche; il provoque; il montre. C’est là toute la différence entre la messe et le spectacle. Tous deux sont spirituels, tous deux parlent à l’âme, à l’émotion, à l’intelligence. Le théâtre n’exprime toutefois pas un message tout fait, dans le style crois-ou-brûles-en-enfer. Un bon roman, un spectacle lyrique, une chorégraphie, une installation, un film font la même chose.

Depuis l’aube de la civilisation, les communautés sentent le besoin de se rassembler, en groupe de dimensions diverses, pour célébrer, vivre des rituels. Elles le font pour organiser la tribu, se divertir, fraterniser, souligner des événements clés de la vie, atteindre un certain niveau spirituel. Car la spiritualité est souvent mêlée à cette volonté de réunion, de communion. Pendant des millénaires, l’humanité s’est rassemblé autour de fêtes ou d’événements de l’ordre du païen. Chasse, récoltes, saisons, événements au village : naissance, puberté, initiations, mort, etc.  Depuis l’avènement de l’ère chrétienne, en Occident, l’église a phagocyté le monde païen. Le calendrier grégorien en est l’apothéose : fêtes religieuses superposées sur les païennes, fêtes de centaines de saints, événements bibliques, promotion de la foi. Au Québec, avec la révolution tranquille, ce système s’est effondré. Il est remplacé maintenant, dans une partie toujours grandissante du monde, par la rencontre dans les salles de spectacles, les bibliothèques, les musées, les cinémas, les galeries.

Une partie de la population préfère les centres commerciaux au lieux de l’art. Ce phénomène s’explique par des raisons pratiques, mais aussi, malheureusement, parce que l’ordre du commerce, par la consommation, a réussi comme la chrétienté à phagocyter l’élan spirituel. Nous reviendrons un jour sur ce sujet.

Cette pièce, La Liste, parle de la souffrance d’une femme, souffrance faite de petits riens qui deviennent incapacité d’aider, de compatir. Peut-être parce que cette femme a peur de sortir de son monde ou de son confort, même si dans le fond sa vie n’est pas très confortable. Elle habite la campagne après avoir imposé à son mari de quitter la ville. Son mari travaille; il s’absente à longueur de journée. Elle est seule avec ses trois enfants dans la maison sur le rang. Sauf une journée par semaine, le mercredi, quand les mômes vont à la garderie. Alors la femme est seule, profite de sa solitude. On comprend qu’elle ne se sent bien, tout compte fait, que dans sa bulle de solitude. Caroline, une voisine, apparaît. Elle a quatre enfants, « la pauvre… » Sa maison est un bordel. Toutes deux font connaissance lors d’un picnic, se visitent, finissent par aller au cinéma, se rendent quelques services. À son corps défendant, la femme devient presque l’amie de Caroline. Car cette femme ne veut pas vraiment d’amie. Puis Caroline, qui veut un cinquième enfant, tombe enceinte. Le grain de sable tombe dans l’engrenage quand Caroline dit vouloir changer de gynécologue. Elle déteste celui qui a mis au monde ses quatres premiers. Elle veut un autre médecin. C’est là que l’engrenage casse… Par manque d’ouverture face à cette voisine, parce qu’elle oublie un petit service, tout simple : fournir le numéro de téléphone de son médecin en ville, la femme provoquera – indirectement – la mort de Caroline. Cet oubli, ce petit rien, fera chavirer sa vie.

À peine plus d’une heure dans la psyché de cette femme qui ressasse, qui essaie d’oublier en ruminant des listes, des listes urgentes, flottantes, quotidiennes… Comment assumer que la mort soit venue ? Faut-il basculer dans la folie ? Est-il possible que renaisse Caroline ?

Sylvie Drapeau incarne ce personnage avec une énergie bouleversante. Quelle grande comédienne ! Elle raconte, pense, souffre, crie à deux ou trois reprises, rit peu… Chaque souffle, mot, voyelle, geste, déplacement sont exactement dosés, à leur place. La comédienne est extraordinaire de finesse, de nuances, de vérité.

Le texte s’est mérité plusieurs prix. La mise en scène est juste; le décor sobre mais signifiant. Une production, une œuvre qui signifient. Quoi, précisément ? J’ai mon opinion, vous aurez la vôtre. Ce n’est pas cela qui importe. Ce qui compte, c’est que la rencontre se soit produite. Émotive, intelligente, spirituelle… De telles rencontres me parlent, me provoquent, me montrent le miroir de ma race, de mon espèce, dans sa beauté et sa douleur.

Dieu peut aller se rhabiller.

PS : Samedi dernier, nous écoutons le film Des dieux et des hommes, de Xavier Beauvois, sur l’assassinat de moines habitant un monastère en Algérie. J’ai la conviction que mon commentaire sur la puissance du théâtre, de l’art, acquiert plus de force.

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Harperisme 2

Un chapelet sans fin d’exemples montre les travers dangereux de la dérive idéologique du gouvernement Harper. Voici un medley de la dernière semaine.

Médailles du jubilé

En voulez-vous, des médailles ? En v’là !!! Avec un drapeau un prime… C’est à coup de patriotisme militaire et de dévotion à la reine que nous allons faire progresser le Canada. Le PM doit sincèrement croire qu’après quelques années de ce régime, le service militaire sera institué à la demande générale. Ou que le Québec exigera une dose de révisionnisme pour rayer les crises de la conscription (1917-18 et 1942) de l’histoire…

Groupes environnementaux = terrorisme

Le gouvernement fédéral veut serrer la vis aux groupes environnementaux. En effet, d’après le ministre responsable, ils représentent une menace pour la sécurité du Canada. Quelques écolos à barbe et moustache pourraient poser des actes terroristes, et nuire à la sacro sainte croissance !!! Imaginez qu’ils empêchent la construction d’oléoducs, comme ils ont presque réussi avec Keystone XL ? Ça, c’est du terrorisme… Prouvons que les méchants environnementalistes couchent avec Al Qaïda, ce qui permettra de faire taire les groupes d’opinion susceptibles de nuire à la gloutonnerie des multinationales et autres cartels des hydrocarbures.

Tous les opposants sont-ils des pédophiles ?

Le ministre de la Justice, Vic Toews, dit de ceux qui s’opposent d’une législation à l’étude sur le registre des pédophiles qu’ils sont « du côté des pédophiles et des criminels ». Si nous n’êtes pas pour nous, vous êtes contre nous…

OUI, JE SUIS CONTRE VOUS ! MAIS JE NE SUIS PAS POUR AUTANT POUR LES PÉDOPHILES…

Vive les données subjectives !

Depuis qu’ils sont au pouvoir, les Conservateurs n’ont de cesse de réduire les engagements publics consacrés à la recherche scientifique, notamment en coupant des postes de chercheurs ou les crédits disponibles pour la recherche chez Statistiques Canada. Ce faisant, le portrait que détient l’administration fédérale de notre société est de plus en plus flou, portrait qui permet depuis des décennies d’ajuster les politiques sociales. Avec une telle attaque en règle contre la science objective, le gouvernement s’assure de réduire la portée des données et arguments contre son idéologie, fondée sur l’opinion du conseil des ministres et de ses courtisans. D’ici peu, la voie sera libre pour sabrer dans ce grand cancer qu’est l’État !!! Avez-vous peur de ce mot ? L‘État

Harper et ses sbires se lèvent probablement la nuit pour célébrer des messes noires contre ce fléau des temps modernes. Vivement le retour des temps ANCIENS !!!

Voyage du premier ministre en Chine

Notre peddler en chef s’est déplacé en personne pour vendre le pétrole bitumineux de son fief albertain au régime dictatorial de Beijing. « Le Canada est prêt à faire du commerce avec la Chine, mais il ne vendra pas son âme », a-t-il déclaré. De quelle âme parle-t-on, ici ? La seule qui compte : celle des vertus de l’économie et de la spoliation des ressources, celle du contrôle de l’information, celle du cash…

Et l’environnement ? Et l’emprisonnement du prix Nobel ? Et la torture ? Et les exécutions sommaires ? ON S’EN FOUT… Cette approche tout à l’économie est d’ailleurs confirmée sans ambiguité par la suite, car il semble bien que notre bon gouvernement souhaite signer bientôt un traité de libre échange avec l’Empire du Milieu. D’après mes informateurs, le chapitre sur les questions sociales sensibles sera caché dans la reliure.

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Depuis qu’il a obtenu sa majorité au Parlement, le style de pouvoir que pratique le gouvernement Harper se révèle de la même famille que celui de pays comme la Chine. Alors que le discours défend bec et ongles la liberté individuelle, l’initiative personnelle ou la primauté de la vie privée sur les tentacules obsessionnelles de l’État, par derrière, les mesures, lois et politiques adoptées vont exactement dans le sens contraire. Contrôlons et manipulons l’information; muselons la science; ostracisons les groupes de pression; dénonçons les organisations démocratiques ou progressistes qui s’opposent à l’idéologie conservatrice; etc…

Honnêtement, je me demande comment il se fait que la souveraineté du Québec n’est pas à 80% dans les sondages.

Pour ce qui est des deux pandas géants que la Chine entend prêter aux zoos de Toronto et Calgary, M. Harper devrait faire attention. Je soupçonne que ce seront des espions à la solde de Beijing. Pire, leur présence au Canada pourrait donner des idées aux écologistes… Des idées terroristes, il va de soi.

De quoi le monde sera-t-il fait en 2112 ?

Dans Le Devoir, le chroniqueur Fabien Deglise convie les lecteurs à un exercice de futurologie. Il sollicite opinions, commentaires, souhaits sur le thème : « En 2112, à quoi le monde va-t-il finalement ressembler ? »

Je plonge. D’abord pour le meilleur, ensuite pour le pire…

Le prochain siècle verra son lot de découvertes fascinantes, qui permettront une évolution positive de l’humanité. Mais, comme depuis toujours, l’espèce sera incapable de canaliser son énergie, ses efforts, pour assurer une amélioration générale des conditions de vie. Dans un siècle, comme depuis toujours, une minorité gardera la mainmise sur le pouvoir, sur les biens, sur les richesses. La cupidité avide de cette minorité, qui dicte les règles du jeu puisqu’elle contrôle le système économique, ne cèdera pas devant les conditions de la majorité. Le capitalisme n’engendrera ni solidarité, ni redistribution équitable. Et le système économique continuera de régner, à défaut d’un système social ou collectif assez convaincant pour renverser le règne de l’argent.

À moins que…

À moins que l’ONU devienne un réel gouvernement mondial, auquel toutes les nations, toutes les multinationales, toutes les mafias, toutes les religions adhèrent… Ce gouvernement devrait être socialiste, comme le définit Le Robert :

Doctrine d’organisation sociale qui entend faire prévaloir l’intérêt, le bien général, sur les intérêts particuliers, au moyen d’une organisation concertée (opposé à libéralisme); organisation sociale qui tend aux mêmes buts, dans un souci de progrès social.

Entre autres rêves, ce gouvernement mondial devrait :

  • Obtenir la paix dans toutes les régions du monde, ainsi que la disparition de toutes les armes dévolues au combat contre d’autres humains.
  • Imposer une définition claire du concept de « liberté », juste équilibre entre les droits de la personne et les obligations de la vie en société.
  • Contrôler la démographie, puisque nous approchons – si nous ne l’avons déjà dépassé – le seuil de surpopulation.
  • Agir pour réduire – il est trop tard pour renverser la situation – les impacts de la pollution et des changements climatiques.
  • Adopter, au niveau mondial, des politiques égalitaires en matière de redistribution, pour que toutes et tous aient accès à l’eau potable, à des sources d’énergies renouvelables (non fossiles) et aux matières premières nécessaires pour construire les infrastructures essentielles.
  • Réformer le système alimentaire de l’humanité, pour assurer que tous mangent à leur faim en consommant un minimum d’eau et d’énergie.
  • Donner à chacun l’accès à un système de santé gratuit (financé par l’état et les contribuables).

Pour réussir une telle révolution, le premier pas consiste probablement à implanter une révolution dans le système d’éducation, pour donner à chacun la formation minimale pour échapper à l’exploitation et être en mesure d’agir pour son bien et celui de ses proches. Comme point de départ, les propositions de Stéphane Hessel et Edgar Morin, dans Le Chemin de l’espérance (Fayard, 2011), valent sûrement le coup. Cet opuscule, sorte de manifeste pour refonder le cadre de la vie en société, est une réponse au pamphlet Indignez-vous, du même Hessel (Indigène Éditions, 2010), dont plusieurs Indignés se réclament.

Croyez-vous l’humanité capable de ce grand geste ? Malheureusement, je crois que non.

Ainsi donc, voici ma vision – cauchemardesque – de ce à quoi notre monde devrait ressembler en 2112 :

  • La planète sera victime d’une surpopulation qu’aucune mesure n’aura réussi à contrôler.
  • Sous la forme d’un capitalisme décadent, le régime économique mènera encore le fonctionnement en société, avec l’argent comme principal moteur d’échange.
  • La plupart des gouvernements, dont les dirigeants seront corrompus par les multinationales, auront poursuivi jusqu’à la fin l’exploitation des carburants fossiles (pétrole et autres gaz), provoquant un retard irrécupérable dans la gestion des changements climatiques.
  • L’environnement sera dégradé partout : dégradation majeure de l’air, des mers, de l’eau potable, des forêts, des terres agricoles, de l’atmosphère; effets délétères majeurs sur la santé publique et sur les espèces vivantes (animales et végétales).
  • La recherche scientifique servira les intérêts de corporations transnationales, au détriment des populations, ce qui se traduira par un énorme déséquilibre quant à l’accès aux soins de santé.
  • L’agriculture traditionnelle aura disparu, sauf dans quelques petites régions isolées. La grande majorité des aliments disponibles proviendront de l’agriculture industrielle (élevage, pisciculture, grandes cultures) et de la production manufacturière (de type soleil vert).
  • Il y aura trop de tout dans quelques petites régions du monde hyper sécurisées.
  • Il manquera de tout dans la plupart des régions du monde, où la force fera loi.
  • De vastes déplacements de populations seront occasionnés par le manque de ressources.
  • Les guerres se multiplieront pour le contrôle de territoires où subsisteront des réserves d’eau potable, de terres arables et d’autres matières premières.
  • En l’absence de concensus pour réduire de manière concertée et cohérente la population, les nations les plus puissantes organiseront d’énormes purges et génocides, afin de contrôler la population dans les territoires sous leur juridiction.
  • Il y aura plus de morts par la guerre au XXIIe siècle qu’au XXIe, qui en aura fait plus que le XXe, etc. (cette croissance est une triste constance du progrès humain).
  • Quelques régions/pays/sociétés auront peut-être réussis à surnager, et à établir des régimes axés sur l’équité et la redistribution de la richesse, mais d’où viendra leur richesse : d’une forme originale d’autarcie ? Ou de l’exploitation de matières premières au détriment des autres ? Et comment réussiront-ils à sauvegarder leur utopie, sinon par des frontières infranchissables ?

Je m’arrête ici. Et j’espère sincèrement avoir tort. Mais, honnêtement, je ne vois nulle part les signes que l’humanité peut mieux.

En route vers Rio+20. Quelle route ?

Dans Le Devoir, le 1er février, Louis-Gilles Francœur rend compte d’un rapport publié par l’ONU sur la santé de la planète (Resilient People, Resilient Planet: A Future Worth Choosing, disponible via le site de l’ONU). Ce rapport a été élaboré par un groupe d’experts et de politiciens de haut niveau en prévision du sommet de Rio+20, en juin prochain. Le Sommet de Rio, qui a imposé le concept de développement durable, a eu lieu en 1992.

Le constat de ce panel, mis en place en 2010, est consternant. Pour la Xième fois, un groupe de spécialistes et de politiques de haut niveau sonne l’alarme sur :

  • la surexploitation des stocks de poisson;
  • le déclin des forêts;
  • les dommages causé par l’élevage industriel du bétail (notamment aux réserves d’eau);
  • la nécessité de réduire la surproduction et la surconsommation, qui découlent du mode de production capitaliste;
  • l’iniquité dans la distribution de la richesse;
  • l’urgence d’agir maintenant pour implanter une stratégie mondiale de développement durable.

Encore une fois, pour contrer la dégradation généralisée de notre milieu de vie, on fait appel à la volonté politique. Encore une fois…

À la lecture des 56 recommandations, et à la lumière du peu d’intérêt manifesté par nos gouvernements, d’abord Harper et sa clique de dinosaures énergivores qui règnent à Ottawa, la route vers Rio+20 n’est pas prêt d’être construite… L’humanité va commencer par tout raser, comme c’est son habitude, avant de condescendre à reconnaître le cul-de-sac dans lequel elle s’est engagé. Alors, magnanimes, les puissants construiront une route asphaltée sur une terre dévastée. En vue de Rio+ 30-40-50 ? Et cette route mènera où ?